Opération Boîtes Vibert
à Maboge.

Samedi 31 janvier, vers 9 heures du matin dans la neige et le froid.
Nous stationnons nos véhicules au pont de Maboge où nous avons rendez-vous avec Dany Marchand et 50.000 oeufs de truites. Le premier arrivé est Vincent Franck, le supérieur des agents de la pêche en Région Wallonne, qui nous fait l'amitié de nous accompagner aujourd'hui.
Il faudra attendre encore une heure pour voir venir la voiture transportant les oeufs, mise en retard par les conditions climatiques difficiles du moment. Nous profiterons de ce répit pour obtenir de Dany et Vincent toutes les informations nécessaires au bon déroulement de la mission (James Bond était retenu), et accessoirement pour déguster une boisson chaude réconfortante (ou était-ce une boisson réconfortante donnant chaud, j'avoue ne plus me rappeler).

Mais parlons un peu de ces boîtes Vibert, d'où viennent-ils et à quoi les destine-t-on? En fait, ce sont de petites boîtes en plastique percées de trous, contenant chacune mille oeufs fécondés de truites farios locales. Cinquante d'entre elles (50.000 oeufs) seront déposées dans des petits ruisseaux, affluents de l'Ourthe entre Nisrâmont et Maboge. Les truitelles, lorsqu'elles seront prêtes, descendront dans l'Ourthe pour y mener la vie d'une véritable truite sauvage de souche locale. Selon les statistiques de réussite, 90 % d'alevins naîtraient et sortiraient de chaque boîte, tandis que 15% d'entre eux atteindraient l'âge adulte. Ce qui pour 50.000 oeufs déposés dans ces ruisseaux du hérou, aboutirait, en trois ans, à   environ 7000 truites sauvages. Le taux de réussite est fantastique, et le coût de l'opération l'est tout autant: Environ 500 FB par boîte. La qualité du poisson est très grande, et peut-être que dans l'avenir, plus de truites atteindrons la maturité sexuelle nécessaire à un repeuplement naturel. Bien sûr, il faut être patient, et les résultats ne sont visibles pour le pêcheur qu'après quelques années.

Quelques bénévoles, un peu fous mais surtout amoureux de leur sport, passent chaque hiver plusieurs de leurs week-end à patauger dans la boue, l'eau et le froid, afin d'améliorer, de la manière la plus naturelle qui soit, la qualité de ce parcours banal (Banal signifie que ce parcours est accessible à tout détenteur du permis de la Région Wallonne, sans permis supplémentaire). Leur seule volonté est que chacun d'entre nous, autant que nos enfants, puissent contempler des truites de souche locale menant une existence naturelle et sauvage dans le lit des rivières d'Ardenne.
En octobre, ils élaguent les arbres, dégagent les arbres abattus en travers des ruisseaux pépinières, nettoient les endroits envasés par les crues et dont le biotope serait susceptible d'accueillir une de ces boîtes Vibert.
La semaine précédant l'immersion des oeufs, ils préparent de manière plus précise les sites et les emplacements puis les marquent afin de faciliter la tâche des poseurs de boîtes.
Et puis vient ce matin, comme celui du 31 janvier '98, où ces volontaires se dispersent vers les sites, un coffret isothermique plein de boîtes remplies d'oeufs sur l'épaule et un grattoir dans les mains.

Comment font-ils ?

Il faut toujours attaquer le ruisseau par l'amont afin que les boues dégagées lors de l'immersion ne viennent pas obstruer et asphyxier les boîtes situées en aval.
L'endroit choisi devra ressembler le plus possible à un site qu'une truite sauvage choisirait pour pondre, c'est à dire avoir toujours de l'eau, de l'oxygène, de la nourriture et surtout des cachettes pour que les alevins, après la naissance, puissent échapper aux prédateurs. Alors, le travail peut continuer. Tout comme la truite qui creuse et remue le gravier avec sa queue, le volontaire, avec sa ... son râteau, dégage lui aussi une zone d'environ un quart de mètre carré entourant un cratère où sera logée la précieuse boîte.

Dès que l'eau est redevenue bien limpide, la boîte est délicatement amenée à température, par aspersion, puis immergée au creux du nid. Elle est coincée par quelques pierres et ensuite recouverte de galets et de graviers judicieusement choisis et parcimonieusement placés.
Après le départ de l'équipe, seul subsistera un léger amoncellement de cailloux, ainsi qu'un repère sur la berge. Quelques semaines plus tard, il facilitera l'enlèvement des boîtes vides. Cette récupération a deux buts: Vérifier si l'éclosion s'est bien déroulé, mais également de retirer ces boîtes en plastique qui n'ont plus aucune raison d'y rester une fois leur mission accomplie .
Il ne reste qu'à attendre quelques semaines afin de découvrir l'ampleur du taux d'éclosion.
 
 
Le 15 février, juste un petit coup d'oeil sur les sites. Le niveau est bas et certains petits monticules de pierres affleurent. En bon "père de famille", on construit quelques petits barrages et le niveau remonte. D'après les première observations, tout se passe bien, les boîtes sont remplies à ras bord d'alevins avec un ventre de patriarche munichois!
Le 1 mars, inspection des sites, les boîtes sont vides, seuls quelques oeufs non éclos subsistent, probablement mal fécondés.
La réussite est quasi totale: 99,5%!
Une vingtaine de poissonnets ont choisi leur boîte comme logement. En les observant nous estimons qu'ils mesurent 2,5 cm et qu'ils tiennent la forme! De peur qu'ils ne restent bloqués dans les boîtes, nous les sortons et les rendons au ruisseau. Nous reprenons les boîtes. Il reste, en tout et pour tout, 5 à dix oeufs non éclos et morts par boîte. Quelques boîtes sont complètement vides.
Une inspection minutieuse du fond nous permet de distinguer des dizaines de petites truites à l'affût derrière ou le long de petits cailloux.
C'est bête à dire mais, à ce moment-là, on se dit que l'on a pas perdu les quelques heures consacrées à ce projet, et le sentiment ressenti est une fierté immense!

Bien sûr, lors de la prochaine ouverture et dans les semaines qui suivent, les truites "remises", alias "portions", "de bassines", "pour viandeurs", et autres qualificatifs flatteurs, seront les seules à s'empiler dans les paniers des exploiteurs de nos rivières. Si vous faites partie de ceux là, tant pis pour vous. Vous aurez bientôt oublié qu'une truite fario n'est pas blanchâtre, et qu'elle est pourvue de vraies nageoires. Qu'elle se nourrit grâce à l'écosystème de la rivière, et qu'elle n'erre pas, désespérée, à la recherche d'un granulé tombé du ciel. Qu'elle passe sa vie à chasser sa nourriture, à fuire ses prédateurs, au gré des postes que la rivière lui donne naturellement à disposition. Et qu'en septembre, elle fraye pour garantir la survie de sa race dans nos rivières. Oui, vous l'aurez sans doute oublié bientôt. A moins que les autres, tous ceux qui ne sont pas comme vous, passent de la théorie à la pratique, retroussent leur manches, et plongent leurs mains dans un ruisseau d'Ardennes pour y déposer l'or dont nous sommes tous fous.

Cette année, la participation de notre club fut épisodique et assez touristique, mais l'hiver prochain, forts de ce que nous avons appris, nous serons encore plus présents sur le terrain, et peut-être même sur d'autres rivières?  Une chose me paraît certaine, ce type d'action devrait se généraliser afin de toucher le grand public pour démontrer qu'un pêcheur prélève parfois du poisson mais qu'il paie de sa personne également, qu'il est responsable des parcours où il s'adonne à sa passion, qu'il est un témoin vigilent de la santé de nos rivières et un acteur essentiel dans leur revalorisation! La pêche est un sport, alors l'année prochaine nous ferons mieux, c'est promis!

Texte Philippe Huart
Photos Hubert et Benoît Noirhomme, Bernard Demarteau